Temps forts – Temps faibles

Cet article analyse les rythmes et leurs relations avec l'accentuation naturelle de certaines notes en fonction de leur position sur des temps forts ou faibles.

La partition musicale est ponctuée par une succession de mesures choisies de telle sorte que chaque mesure débute sur un temps fort.

Il existe deux types principaux de rythmes, binaires et ternaires. Les rythmes plus complexes peuvent ensuite s'analyser comme des combinaisons de rythmes binaires et ternaires.

Rythmes binaires

Dans une mesure à 2 temps (par exemple, la marche), le premier temps est fort et le second est faible. En attribuant à chaque temps un indice de force relative, on peut représenter la mesure sous la forme [1, 0].

Le plus souvent, chaque temps est lui-même subdivisé en 2 (sous‑)temps. Chaque subdivision obéit à la même loi [1, 0] : le premier (sous‑)temps y est fort et le second y est faible. Peu importe que la mesure soit notée à 2 temps ou à 4 temps. De nombreuses danses sont en effet à 4 (2 x 2) temps.

Il est possible de réitérer une telle subdivion binaire et d'appliquer la même loi [1, 0] à chaque subdivision. L'itération suivante produirait une mesure à 8 (2 x 2 x 2) temps.

Pour attribuer à chaque temps un indice de force relative, il convient de juxtaposer, de droite à gauche, les indices de force relative dans l'ordre des subdivisions successives. Comme, dans chaque subdivision, l'indice de force relative est binaire [1, 0], on détermine ainsi un indice de force relative en système binaire.

Ce tableau montre le résultat pour une danse à 4 temps (par exemple, fox-trot) :

1er temps 2ème temps 3ème temps 4ème temps
Indice de force relative de ce temps (en système binaire) 11 01 10 00
Indice de force relative de ce temps (en système décimal) 3 1 2 0

Ce tableau montre le résultat pour une danse à 8 temps (par exemple, cha-cha-cha) :

1ertemps 2ème temps 3ème temps 4ème temps 5ème temps 6ème temps 7ème temps 8ème temps
Indice de force relative de ce temps (en système binaire) 111 011 101 001 110 010 100 000
Indice de force relative de ce temps (en système décimal) 7 3 5 1 6 2 4 0

Il en résulte cette propriété mathématique remarquable : 

Pour déterminer l'indice de force relative d'un temps quelconque dans un rythme binaire, il suffit d'inverser la représentation binaire de la distance (comptée en nombre de temps) qui sépare ce temps de la fin de la mesure.

Voici, pour une mesure à 8 temps, l'illustration de cette propriété mathématique :

1ertemps 2ème temps 3ème temps 4ème temps 5ème temps 6ème temps 7ème temps 8ème temps
Distance de ce temps à la fin de la mesure (en système binaire) 111 110 101 100 011 010 001 000
Indice de force relative de ce temps (en système binaire) 111 011 101 001 110 010 100 000

Rythmes ternaires

Dans une mesure à 3 temps, le premier temps est fort et le temps le plus faible peut être le deuxième (cas le plus fréquent) ou le troisième (cas moins fréquent).

Dans la passacaille, les 3 temps successifs sont de plus en plus faibles. En exprimant maintenant leurs indices de force relative en système ternaire, les 3 temps peuvent être notés [2, 1, 0]. (L'indice de force relative exprime encore la distance qui sépare ce temps de la fin de la mesure.)

Dans le menuet ou la valse, le temps le plus faible est le deuxième. Les 3 temps peuvent y être notés [2, 0, 1]. (Ici, l'indice de force relative n'exprime plus la distance qui sépare ce temps de la fin de la mesure, c'est simplement un indice propre à chaque temps.)

La mesure à 3 temps fait le plus souvent l'objet d'une subdivisision binaire. Il est plus rare qu'elle fasse l'objet d'une subdivisision ternaire.

En présence d'une mesure à 9 (3 x 3) temps, cependant, on peut appliquer le même raisonnement que précédemment, en considérant les indices de force relative de chaque subdivision, et en formant l'indice de force relative de chaque temps par juxtaposition, de droite à gauche, des indices de force relative dans l'ordre des subdivisions successives.

Voici le thème du choral “ Jesus bleibet meine Freude ” extrait de la cantate n° 147 de J.-S. Bach (cliquez pour écouter) :

Choral de la Cantate 147 de J.-S. Bach

La mesure à 9 (3 x 3) temps s'y analyse comme deux subdivisions ternaires du type menuet [2, 0, 1]. Ce tableau montre le résultat pour la mesure à 9 temps :

1ertemps 2ème temps 3ème temps 4ème temps 5ème temps 6ème temps 7ème temps 8ème temps 9ème temps
Indice de force relative de ce temps (en système ternaire) 22 02 12 20 00 10 21 01 11
Indice de force relative de ce temps (en système décimal) 8 2 5 6 0 3 7 1 4

Le même raisonnement s'applique à des subdivisions hétérogèmes (binaires et ternaires).

Rythmes binaires puis ternaires

Dans une mesure à 2 temps subdivisés en 3 (sous‑)temps (par exemple, la sicilienne), on formerait l'indice de force relative de chaque temps en juxtaposant, de droite à gauche, les indices de force relative dans l'ordre des subdivisions successives. Le plus souvent, la subdivision en 3 temps est du type menuet [2, 0, 1].

Le mélange de subdivisions binaires et ternaires crée une apparente difficulté, qui est de choisir le bon système de numérotation (binaire ou ternaire), mais comme le résultat cherché est un simple indice de force relative (et non une quelconque valeur absolue), le système ternaire l'emporte sans inconvénient sur le système binaire.

Ce tableau montre le résultat pour la mesure à 6 (2 x 3) temps :

1ertemps 2ème temps 3ème temps 4ème temps 5ème temps 6ème temps
Indice de force relative de ce temps (en système ternaire) 21 01 11 20 00 10
Indice de force relative de ce temps (en système décimal) 7 1 4 6 0 3

Rythmes ternaires puis binaires

Le même raisonnement s'applique aux mesures à 3 temps subdivisés en 2 (sous‑)temps (par exemple, la valse). Ce tableau montre le résultat pour la mesure à 6 (3 x 2) temps :

1ertemps 2ème temps 3ème temps 4ème temps 5ème temps 6ème temps
Indice de force relative de ce temps (en système ternaire) 12 02 10 00 11 01
Indice de force relative de ce temps (en système décimal) 5 2 3 0 4 1

Notons qu'il est d'usage de noter la valse dans une mesure à 3 temps. Pourtant, nombre de valses viennoises, dans lesquelles les mesures vont par paires, s'accommoderaient parfaitement de la mesure à 6 (2 x 3) temps, ou même à 12 (2 x 3 x 2) temps pour laquelle on appliquerait le même raisonnement.

Rythmes plus complexes

On rencontre souvent, dans les musiques d'Europe orientale, des rythmes plus complexes, par exemple à 5 ou 7 temps.

Ce sont en fait des combinaisons de rythmes binaires et ternaires. Par exemple, on peut analyser une mesure à 5 temps comme une combinaison de 2 + 3 temps ou 3 + 2 temps. De même, une mesure à 7 temps est souvent la combinaison de 4 + 3 temps.

Dans chacune de ces combinaisons, chaque subdivision de la mesure inclut un élément de chaque type (binaire et ternaire). Pour déterminer les temps forts ou faibles de la mesure, il suffit d'appliquer les raisonnements précédents, en gardant à l'esprit que le premier élément rencontré (binaire ou ternaire) débute par un temps fort.

En fait, ces mesures complexes (par exemple, 2 + 3, 3 + 2, 4 + 3) sont souvent notées en utilisant des barres de mesure en pointillés, ce qui en facilite l'analyse en nous ramenant à l'un des exemples précedents.

Et les syncopes, dans tout cela ?

Les syncopes sont des anomalies passagères d'accentuation de certaines notes de la mélodie. Le plus souvent, seule la mélodie est syncopée, et son accompagnement reste soumis au rythme normal de la pièce. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on remarque la syncope.

Un compositeur qui voudrait syncoper simultanément la mélodie et son accompagnement ferait mieux, plus logiquement, de modifier passagèrement le rythme et le découpage en mesures.

Temps faibles, riches en harmonie

Sur les temps faibles, le compositeur place souvent des notes de passage, étrangères à la tonalité, qui contribuent à enrichir l'harmonie de la pièce.

A titre d'exemple, reprenons le thème du choral de la cantate n° 147 de J.-S. Bach, en y modifiant arbitrairement les temps les plus faibles de chaque mesure (et en adaptant l'accompagnement à la mélodie ainsi modifiée). Dans cet exemple (assez brutal !), le 5ème et le 8ème temps de chaque mesure ont été altérés (abaissés ou haussés) d'un demi-ton (cliquez pour écouter) :

Choral modifié de la Cantate 147 de J.-S. Bach

Le thème prend une couleur différente, sans être complètement dénaturé pour autant.

En conclusion, sur un temps faible, tout est permis (ou presque).


Pardon, Jean-Sébastien ! ●

Jean-Pierre Vial

Novembre 2020

Jean-Pierre Vial, compositeur français