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Les complications

Après les exemples les plus simples, cette section s'intéresse aux diverses complications que l'on peut rencontrer dans l'analyse de la tonalité.

Une introduction n'est pas un thème

Une pièce musicale ne débute pas nécessairement par son thème. Voici l'exemple de la Ballade n° 1 de F. Chopin :

Ballade n° 1 de F. Chopin

Ballade n° 1 de F. Chopin

Le tout début de la ballade nous plonge immédiatement dans la tonalité de la bémol majeur, jusqu'à l'appartion du fa dièse, note étrangère sur laquelle insiste Chopin en la prolongeant par un silence. Chopin pourrait nous laisser croire que notre boussole tonale va s'orienter vers ré bémol majeur, mais la suite nous prouve que cette note étrangère est bien un fa dièse (et non un sol bémol) et que notre boussole s'oriente vers sol mineur, la tonalité du thème qui va suivre.

Le chromatisme et le rôle de la sensible

Dans un premier temps, par simplification, nous avions indiqué que l'étendue des intervalles musicaux était sans incidence sur notre perception de la tonalité. C'est une approximation insuffisante pour tenir compte des montées ou des descentes chromatiques. Dans une véritable progression chromatique, les intervalles sont nécessairement des demi-tons.

Il en va de même dans le cas particulier de la note sensible. La sensible et la tonique doivent se suivre chromatiquement, en formant un intervalle de seconde mineure.

Pour étudier les progressions chromatiques ou les relations sensible → tonique, le cycle des quintes ne suffit plus. Une analyse des hauteurs de notes et des intervalles qu'elles forment est indispensable.

Les ornements

On rencontre, surtout dans les musiques les plus anciennes, de nombreux ornements (par exemple, trille, mordant, appoggiature, acciaccature, gruppetto, etc.) qui perturbent l'analyse de la tonalité.

Un ornement est une série de notes rapides qui mettent en valeur la note finale de la série. Comme dans le cas du chromatisme et de la sensible, toutes les notes de la série se suivent en formant des intervalles de seconde (majeure ou mineure). Ici aussi, la seconde mineure joue un rôle de sensible en renforçant l'importance tonale de la note supérieure.

Précédemment, le thème de la Toccata en ré mineur de J. S. Bach et celui de la Sérénade F. Schubert ont montré comment le mordant (ou son inverse) renforçait le rôle des certaines notes.

Dans l'analyse de la tonalité, ayant identifié certains ornements, on peut en faire abstraction et seulement retenir la note finale de la série qui constitue l'ornement. Dans le cas d'un ornement, les notes rapides ont effectivement une faible importance tonale. A l'inverse, il serait incorrect de négliger toutes les notes rapides pour analyser la tonalité.

La non-commutativé des intervalles

Dans un premier temps, par simplification, nous avions indiqué que l'ordre dans lequel sont énoncées les notes était sans importance pour la perception de la tonalité. C'est une approximation insuffisante pour une analyse fine de la tonalité.

Dans le thème de l'adagietto de G Mahler, les premières notes énoncent une cadence parfaite. C'est vrai seulement parce que les notes y sont énoncées dans l'ordre de la triade ut → fa. Les extrémités de la triade y renforcent l'impression de cadence parfaite.

Transposons cette triade deux tons au-dessus et comparons-la au thème du deuxième mouvement (adagio sostenuto) du deuxième concerto pour piano de S. Rachmaninov :

Voici le thème du deuxième mouvement (adagio sostenuto) du deuxième concerto pour piano de S. Rachmaninov :

Adagio du concerto n° 2 de S. Rachmaninov

Adagio du concerto n° 2 de S. Rachmaninov

et voici la triade si → mi, transposée du début du thème de l'adagietto de G Mahler :

Triade transposée de l'adagietto de G. Mahler

Triade transposée de l'adagietto de G. Mahler

A une octave près, on retrouve les mêmes note dans les deux exemples, mais elles y sont présentées dans un ordre très différent. Dans son adagio sostenuto, Rachmaninov insiste sur le sol dièse, et les extrémités de la phrase renforcent l'impression d'intervalle entre mi (note inférieure) et sol dièse (mis en valeur) qui sous-entend un accord tonique de mi majeur (ou peut-être ut dièse mineur, tant qu'une analyse plus fine du thème ne nous a pas permis de choisir entre les deux tons relatifs).

Enoncées dans un ordre différent, les mêmes notes ne conduisent pas à la même tonalité.

Les faux amis

Les accords majeurs et mineurs, ou même ceux de tierce majeure ou de tierce mineure, suffisent souvent à affirmer une tonalité, mais il faut pour cela qu'ils soient mis en valeur, par exemple en début ou en fin de phrase. Noyés dans le contexte d'une phrase, ils perdent de leur importance tonale et peuvent alors constituer de faux amis.

Dans une gamme majeure, il existe trois combinaisons de degrés qui cachent des accords mineurs. Ce sont les combinaisons [II, IV, VI], [III, V, VII] et [III, VI, I]. Voici l'exemple d'ut majeur (cliquez pour écouter) :

Les accords mineurs cachés dans la gamme d'ut majeur

Les accords mineurs cachés dans la gamme d'ut majeur

Dans une gamme mineure, il existe quatre combinaisons de degrés (certains étant variables) qui cachent des accords majeurs. Ce sont les combinaisons [III, V, VII] [IV, VI, I], [V, VII, II] et [VI, I, III]. Voici l'exemple d'ut mineur (cliquez pour écouter) :

Les accords majeurs cachés dans la gamme d'ut mineur

Les accords majeurs cachés dans la gamme d'ut mineur

Dans les exemples précédents, seuls les accords mis en valeur en début ou en fin de phrase sont susceptibles d'affirmer une tonalité.

Quant aux accords ou aux intervalles de tierce (majeure ou mineure), dépourvus de dominante, ils sont encore plus ambigus. Voici deux exemples d'intervalles de tierce :

Tierce mineure suivie de tierce majeure

Tierce mineure suivie de tierce majeure

Tierce majeure suivie de tierce mineure

 Tierce majeure suivie de tierce mineure

Dans le premier exemple, les intervalles successifs énoncent un accord d'ut majeur, confirmé par l'ut final. Dans le second exemple, les mêmes intervalles présentés en ordre inverse énoncent un accord d'ut mineur. Dans ces deux exemples, ce sont les hauteurs de la note supérieure (sol) et de la note inférieure (ut) qui délimitent la cadence parfaite et déterminent la tonalité d'ut (majeur ou mineur, selon la médiante).

Voici un autre exemple d'ambiguïté de tierces (majeure et mineure), l'exemple du premier mouvement (allegro con brio) de la 5ème symphonie de L. v. Beethoven :

1er mouvement de la 5ème symphonie de L. v. Beethoven

1er mouvement de la 5ème symphonie de L. v. Beethoven

Les cinq premières mesures ne nous permettent pas de déterminer avec certitude la tonalité. Les tierces (majeure et mineure) y sont ambiguës. Beethoven ménage le suspense en n'accompagnant son thème d'aucune harmonie qui puisse lever l'ambiguïté. Il nous faut patienter encore quelques mesures avant d'entendre l'arpège d'ut mineur, en notes soutenues. Le reste du thème nous conforte dans notre analyse.



Jean-Pierre Vial

Janvier 2021

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